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jeudi 4 juin 2015

La fabuleuse image du Janissaire


Et l'étrange symbolique de sa cuillère...

A vrai dire, en abordant le thème des janissaires, j’étais très loin de soupçonner tout le grand intérêt du lexique légué par les Turc-Ottomans. Les deux billets précédents nous ont déjà apporté de nouveaux éléments, nous allons tous simplement exploiter ces derniers en partant d’une image d’Epinal d’une valeur inestimable montrant le chorbadji, le porteur de cuiller turc. D’une manière générale, c’est par les ustensiles et arts de table que nous arriveront à des conclusions très curieuses. Je voudrais remercier tout particulièrement notre ami le philosophe Michel Filippi - mis n' Tmurth (un enfant du pays), à propos - pour ce tuyau avec cette image merveilleuse du janissaire porteur de cuiller à pot dont la symbolique dépasse toutes mes attentes.
                                                                              source
Vous ne pouvez pas savoir combien je suis admiratif devant le génie humain lorsque je vois de telles images, par exemple. Et vous ne pouvez sans doute pas imaginer toute la foison de notions qui se cacheraient derrière cette cuillère de cantinier. Essayons donc de voir certaines d’elles. Mais lisez les explications du pourquoi le distributeur de soupe est associé au grade d’officier, etc. Commençons par la cuillère, qui en français devrait être en relation avec la notion d'aigle en latin aquila (aigle) au vu de sa forme. Le kabyle l'explique encore mieux ce rapprochement nez aquilin-louche/cuiller :
a-ɣunǧa, a-ghoundja (masc.) = la louche ; taɣunǧayt/tha-ghoundjay-th (fém.) = la cuiller
Ce terme est incontestablement le même que celui du aɣenǧuṛ/a-ghendjour « nez aquilin », tha-ghendjour-th/taɣenǧuṛt « nez long et fin » en kab, qui a été mis en relation avec le janissaire-potier et le signe du cancer (crabe) dans les deux posts précédents. On a clairement un indice de nez-cuiller ou nez-louche. L'emprunt utilisé en kabyle l'xuǧa/l'Khodja "huissier, secrétaire", turc ou arabe, va dans le même sens. Même le nom de la mythique fille de rêve, qu'on a mis justement en relation avec les arts de table et l'étiquette, la sublime Lunǧa/Lounja irait dans le même sens.

Bien entendu, la cuiller du chorbadji indique son grade de Chef des janissaires : colonel, ou capitaine, voire commandant. Et cette allégorie est valable pour d'autre métiers. Le porteur de cuiller devient le porteur de plume ou autre outil d'écriture ou pour graver :
al-ghuraf (la louche) en algérois ou al-mughrafa (louche) en masri/arabe s'apparente au grec grapho (écrire). En somme, le chorbadji et sa cuiller changent pour devenir des "Gourphadji :)" (mot inexistant), soit un graveur-ciseleur, un écrivain ou celui qui marque (sténographiste). Le Khodja (huissier, secrétaire), c'est lui. En somme, un Scribe...qui nous donne une relation avec chorba (soupe), mais surtout la relation indéniable avec Scarabée qui chez les Égyptiens anciens était le nom de la constellation du Scarabée qui porta celui de Tortue chez les Babyloniens, de Cancer et Crabe plus tard ailleurs. Très facilement, on comprend que la notion de Chancelier (kanzler en allemand) vient droit de Cancer. Ce qui confirme l'hypothèse déjà avancé sur l'ancien blog concernant le Chancelier égyptien ancien. 

Au final, les noms de crustacés ou de reptile (tortue) sont apparentés au métier de huissier, graveur, ciseleur, écrivain, chancelier, secrétaire, etc. Remarquons qu'on a aucun indice de poulpe, donc pas d'allusion aux tentacules, il s'agirait probablement de la cuirasse/carapace de tortue, écrevisse, etc. Et donc de bouclier peut-être, avec le sens de défense. Le chorbadji turc se retrouve d'ailleurs dans le russe /CRP/ pour à peu près les mêmes termes : tchérep (crâne), tchérpak (la louche), tchérépakha (tortue). 

L'outil du scribe était jadis le Calame, terme arabe pris au grec kalamos (roseau) : je pense que le terme en question aurait désigné plus généralement tout outil taillé pour écrire, graver, etc., et qu'il serait peut-être en relation avec Coronel (esp.)/Colonel, le grade justement du porteur de cuillère et chef des janissaires. Cependant, le plus curieux réside dans la possible relation entre les écritures et la maroquinerie. Comment ? Tout simple : le calame issu du grec KLM de roseau serait peut-être comparable au kabyle GLM de a-gulim (peau) ; le tanneur ou celui qui travaille la peau est aussi qlq part maroquinier, un "marocain" ma-ghriv (maghreb) avec ghoraf (louche) en arabe, grapho (écrire) en grec. Plus rigolo encore, la peau en russe koja serait comparable au... khodja (huissier, secrétaire). 

Sur le plan rationnel, ce qui m'intéresse, c'est la lettre ou plutôt les deux lettres qui peuvent émerger de tout ce beau lexique d'ustensiles. D'abord il y a la forme courbée du nez aquilin (crochet) et de la cuiller comparable à celle de la baquette courbée du tambourin, et surtout à la lettre phénicienne qui nous donne quasiment le "i grec" contemporain :
Y : vav phénicien
Son autre forme, courbée justement, est dans le waw arabe ci-dessus sur l'image. C'est un indice formidable qui pourrait même expliquer le sens de wazir (ministre)/vizir - terme qui vient de l'Egypte ancienne -, ainsi que wazn (poids), al -wazani (le peseur), waza3 (distribuer) en masri/arabe avec le sens de  celui qui répartit/distribue (un pivot quoi !) : ça peut-être un justicier (un juge, par exemple) ou autre chose. Notre chorbadji serait le cantinier qui distribue - équitablement, je présume - la nourriture à ses soldats.

La deuxième lettre qui m'intéresse dans ce contexte est la lettre phénicienne Yod (Iota), mais on va la traiter une autre fois sur un tout autre registre. Lequel ? Pas trop clair pour le moment, mais il est évident qu'on ne va pas y aller du dos de la cuillère, car on va simplement "dépecer" le janissaire : yéni-tchéri (nouvelle milice) qui nous renverra aux temps anciens, vers plusieurs variantes (religieuses surtout) que vous connaissez sans doute. Mais c'est une autre histoire qui sera racontée une fois qu'elle aura pris complètement corps dans ma caboche...